Prendre en charge... ou pas ! Ce qui peut nous bloquer.
Toute la bonne volonté du monde peut parfois nous laisser impuissants face à nos blocages.
J'ai déjà parlé du complexe de l'imposteur qui, s'il constitue "la moindre des politesses", peut quand même nous bloquer. Plus largement, j'ai envie de parler des blocages qui nous plombent dans notre quotidien, dans toutes nos actions, notre travail, notre vie personnelle, en particulier ceux qui nous empêchent de "prendre en charge", c'est à dire d'assumer pleinement notre rôle et les responsabilités qui vont avec. C'est parfois tellement ancré en nous que nous n'en avons pas vraiment conscience. Et c'est un vrai handicap.
Je l'ai beaucoup vu en entreprise, où cela m'énervait beaucoup au départ car je ne comprenais pas. Puis j'ai découvert que sur certains projets, il m'arrivait de faire de même. Explications...
Pourquoi mon projet n'avance pas ?
C'était une grande entreprise, où je n'avais pas forcément les codes et où je cherchais à me rassurer en sortant de grandes phrases. Mais fondamentalement, je ne comprenais pas encore comment les choses fonctionnaient et j'avais la trouille d'être pris pour un guignol. Et donc non seulement je n'osais pas poser de questions quand je ne comprenais pas, mais en plus j'en faisais des tonnes dès que je prenais la parole.
Résultat : mes projets n'avançaient pas et je me suis rendu compte que les interlocuteurs venaient de moins en moins aux réunions, les projets avançaient donc encore moins, ce qui me stressait. J'ai fini par me demander ce dont j'avais besoin pour que ces projets avancent et je suis allé voir les gens un par un avec mes questions : ils m'ont expliqué ce que je ne savais pas et j'ai pu enfin faire ce que je n'avais pas fait depuis le début : prendre en charge.
J'ai commencé par faire systématiquement un ordre du jour pour chaque réunion, avec des points à voir et des objectifs à atteindre. Et là, ô miracle, les gens ont commencé à revenir aux réunions. Si tous les objectifs n'étaient pas forcément atteints à chaque fois, on comprenait pourquoi et chacun faisait en sorte qu'on ait tous les éléments nécessaires à la réunion suivante. Et mes projets ont avancé.
Mais pour cela, il avait fallu que j'accepte d'être en posture basse, en posture d'apprenant, y compris avec des gens censés être moins expérimentés que moi (mais connaissant bien mieux la société), sans doute bien moins payés. Il avait fallu que je fixe des objectifs, que je pointe du doigt les problèmes et que j'accepte qu'il était de ma responsabilité de les résoudre. Il avait fallu que je travaille entre les réunions pour trouver les infos et proposer des solutions.
Bref, il avait fallu que j'accepte de prendre en charge mes projets, même si cela voulait dire sortir de ma zone de confort. Et que je le fasse assez tôt après mon arrivée, alors qu'il était encore acceptable que je ne connaisse pas les usages et les process internes. Pas sûr que cela m'aurait été pardonné après deux ou trois mois sur place.
Et depuis, je repère cela assez vite ce problème chez les autres. Quand c'est possible, j'essaie de les aider en les encourageant à poser des questions, à fixer des objectifs, etc. Car je sais que c'est une situation très inconfortable à vivre.
D'où ce blocage peut-il venir ?
Sans tomber dans une caricature freudienne, on peut raisonnablement dire que dans les cas les plus marqués, ce type de blocage est souvent lié à des parents très contrôlants et ayant tendance à porter beaucoup de jugements. Ca n’était pas mon cas heureusement, mais d’autres n’ont pas eu cette chance.
Or quand un parent ne laisse pas d'autonomie, critique systématiquement la manière dont on fait les choses, voire les fait à sa place, il n'y a pas la place pour la construction et au final, on se retrouve pris en étau entre une absence d'autonomie (car on a jamais eu l'espace pour la pratiquer) et un besoin de reconnaissance abyssal, impossible à satisfaire, puisque pour être reconnu il faudrait pouvoir exercer une autonomie dont on ne dispose pas. Un cercle vicieux.
Ce phénomène peut hélas se répéter : les parents contrôlants ont peur, ce qui les empêche d'avoir confiance en leurs enfants. Peur de ce que diront "les autres", mais surtout peur de ne pas se voir soi-même comme étant à la hauteur, de décevoir, de SE décevoir. En tant que parent, on reproduit ce qu'on a connu et le risque est important qu'on ne donne pas assez d'autonomie à ses enfants. En avoir conscience est fondamental pour ne pas que la chaîne se prolonge au fil des générations.
Comment s'en sortir ?
C'est une question d'abord de prise de conscience. Sortir de l'émotion, de la peur du regard de l'autre (qui représente symboliquement ses parents), et porter un regard froid et objectif sur la manière dont on a (dys)fonctionné, notamment dans un cadre professionnel.
Chaque situation où les choses se sont mal passées et où l'on a été surpris.e de recevoir des feedbacks négatifs est potentiellement une bonne illustration. Il faut alors se poser les bonnes questions... Qu'attendait-on de moi ? Que devais-je prendre en charge ? Par quoi cela devait-il se traduire de manière purement opérationnelle ? L'ai-je fait ? Cela a-t-il été efficace ?
Pour chaque cas où on réalise que l'on n'a pas forcément "pris en charge" à la hauteur de ce qui était attendu, il faut se demander pourquoi. Déjà, a-t-on dès le départ compris ce qui était attendu ? Sinon, a-t-on cherché à l'éclaircir ? Souvent, le doute, la peur de mal faire, le fameux complexe de l'imposteur, font qu'on n'ose pas être structurant alors que c'est précisément ce qui est attendu.
Cela concerne aussi la relation aux enfants : prendre en charge, c'est leur mettre des limites. Et pas juste verbales ! Des parents qui hurlent sur leurs enfants mais n'agissent pas ne sont pas structurants mais confusants. Une action sans animosité vaut mieux que mille paroles virulentes sans action concrète derrière.
Ou même dans la relation à soi-même : lorsqu'on prend une décision, l'assume-t'on ? La tient-on ? Le fait de s'engager sur des voies que l'on sait être difficiles à tenir peut venir éroder encore la confiance en soi et amplifier le problème.
La clé me semble être de mettre de côté ses émotions et se demander de quoi ont besoin ses collègues ? Son boss ? Ses enfants ? Son conjoint ? Ses amis ? Car les émotions et les perceptions sont très différentes d'une personne à l'autre et ce qui compte, ce sur quoi on peut agir, ce sont les faits, les actes. D’ailleurs, il ne faut jamais oublier que ne pas agir et un acte, que ne pas choisir est un choix. Et qu'une chose qu'on ne prend pas en charge à l'instant t devra l'être à l'instant t+1, avec une forte probabilité que les choses soient alors plus compliquées… Car les problèmes se résolvent rarement tout seuls.
J’ai fini par le comprendre en tant qu'entrepreneur et j'essaie de le mettre en oeuvre de tous les points de vue, même si ça n'est pas toujours simple. Mais faire cet effort m'a fait énormément progresser. Et vous, qu’en pensez-vous ?
Christophe
Christophe Duhamel
Cofondateur de Marmiton, auteur, enseignant, entrepreneur.