Sommes-nous entre deux mondes ? Entre deux époques ?

C'est une chose que nous entendons de plus en plus souvent. Nous serions entre deux époques, entre deux ères, pour de nombreuses raisons...

1 truc par jour
5 min ⋅ 07/07/2024

“Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres” disait Antonio Gramsci. Cette citation semble bien s’appliquer aujourd’hui, même si elle date du début du 20ème siècle…

Néanmoins, il est difficile de ne pas souscrire à cette idée que notre époque troublée l’est pour une raison logique. Regardons de plus près cette hypothèses du monde qui s’en va et du nouveau monde qui arrive…

Le monde qui s’en va selon Marc Halevy

Selon Marc Halévy, physicien et philosophe spécialisé dans les sciences de la complexité, nous assistons à la fin d'un monde, celui de la modernité. Ce monde, né avec la révolution industrielle, a été marqué par des valeurs de croissance économique illimitée, de consommation de masse, et de domination de la nature. Marc Halévy décrit cette époque comme celle de la "thermodynamique" où l'exploitation des ressources énergétiques fossiles était le moteur principal de notre développement. Cependant, ce modèle atteint ses limites, écologiquement et socialement insoutenables.

Pour lui, le monde suit (en gros) des cycles de 550 ans environ et nous sommes à la fin d’un cycle qui a commencé avec la Renaissance. La fin de ce cycle a commencé au 20ème siècle et se poursuit, ce qui nous plonge aujourd’hui dans une période incertaine et chaotique.

Internet, la mondialisation et l’intelligence artificielle sont selon lui des facteurs d’accélération de ce changement et des outils qui vont permettre la construction du monde suivant, qui sera caractérisé par la frugalité mais aussi la collaboration (fin du modèle hiérarchique). Avec l’impératif de ramener la population mondiale sous les 2 milliards d’individus (ce qui se passe naturellement dès lors que le niveau de vie et d’instruction augmente).

Edgar Morin et l’ère de la complexité

La pensée complexe s'oppose à la pensée traditionnelle, qui tend à diviser le monde en catégories séparées et à privilégier les explications linéaires. En revanche, la complexité reconnaît l'interdépendance des phénomènes, leur caractère multidimensionnel et leur évolution constante.

Edgar Morin identifie plusieurs principes clés de la pensée complexe :

  • Le principe dialogique, qui met en avant l'idée que les notions opposées (par exemple, ordre et désordre, individu et société) ne s'excluent pas mutuellement, mais sont plutôt liées et interdépendantes.

  • L'incertitude: la connaissance du monde est toujours incertaine et incomplète. Il est nécessaire de s'adapter en permanence à l'émergence de nouvelles informations et à la remise en question des idées reçues.

  • La boucle rétroactive : les actions que nous entreprenons ont des conséquences, parfois inattendues, qui peuvent influencer notre situation de départ. Il est important de prendre en compte ces boucles rétroactives pour mieux comprendre les phénomènes complexes.

En appliquant la pensée complexe à différents domaines, tels que la biologie, la physique, la politique ou l'économie, Morin nous invite à adopter une nouvelle vision du monde. Cette vision est plus ouverte, plus inclusive et plus respectueuse de la diversité et de la richesse du réel.

A titre personnel, cette pensée me parle énormément car elle seule permet de rendre compte du fonctionnement réel du monde, à l’heure où les démagogues et populistes essaient de nous vendre l’idée d’un monde où les choses sont simples et peuvent être gérées une par une de manière décorrélée… Ce qui hélas peut plaire à tous ceux qui se sentent dépassés et désemparés devant la complexité du monde (et qui inventent ou plébicitent parfois des théories pour se donner l’illusion qu’ils “savent” : l’état profond, les reptiliens et autres énormités…).

Les impacts de la mondialisation du capital selon François Houtart

François Houtart, sociologue belge et théologien catholique, est une figure importante de la pensée critique de la mondialisation. Ses travaux explorent les impacts sociaux, économiques et politiques de la mondialisation du capital.

François Houtart analyse la mondialisation du capital comme un système d'exploitation à l'échelle planétaire, dominé par les multinationales et les institutions financières internationales, qui s'appuie sur une logique de profit et d'accumulation, qui accroît les inégalités et met en péril les équilibres sociaux et environnementaux.

Face aux injustices et aux défis engendrés par la mondialisation du capital, Houtart appelle à une "mondialisation des résistances". Cette mondialisation des résistances se manifeste à travers une multitude de mouvements sociaux, d'organisations alternatives et d'initiatives citoyennes qui luttent pour un monde plus juste, plus durable et plus solidaire.

Il propose plusieurs pistes pour améliorer les choses :

  • Renforcer le pouvoir des travailleurs et des peuples en favorisant la syndicalisation et en développant des formes de démocratie participative.

  • Redonner du pouvoir aux États en repensant la gouvernance mondiale et en renforçant le rôle des États dans la régulation de l'économie et la protection des droits sociaux et environnementaux.

  • Promouvoir des alternatives économiques solidaires en développant des modèles économiques basés sur la coopération, la solidarité et le respect de l'environnement.

Son approche me semble cohérente avec le constat que les entreprises privées ont 1) pour but naturel d’augmenter leur rentabilité et 2) ne peuvent être contraintes par les lois d’un état car par définition, elles peuvent être établies dans plusieurs pays et peuvent en changer librement (d’autant que leurs actionnaires peuvent en général être de toutes nationalités). Logiquement, seule une autorité mondiale peut alors contraindre leur fonctionnement et limiter leur logique d’accumulation sans limite. C’est pour cela qu’il est très compliqué (voire quasi impossible) pour un état de vraiment réguler les entreprises (même les dictatures peinent à le faire).

La fin des récits comme miroir de la fin des époques

Dans son ouvrage Sapiens : Une brève histoire de l'humanité, Yuval Noah Harari explore l'évolution de notre espèce à travers le prisme des récits. Pour lui, ces récits, qu'ils soient mythes, religions ou idéologies, ont joué un rôle crucial dans la construction de nos sociétés et de nos identités collectives.

Selon Harari, la fin d'une époque coïncide souvent avec la fin du récit dominant qui la sous-tendait. En effet, lorsque les conditions sociales, économiques ou environnementales changent de manière radicale, l'ancien récit peut ne plus sembler pertinent, voire s'avérer nuisible. Cela peut conduire à une crise de sens et à une recherche de nouveaux récits pour donner du sens au monde.

Par exemple, la fin de l'Antiquité et la chute de l'Empire romain ont marqué la fin d'une époque dominée par les dieux polythéistes. Le christianisme, avec son message d'amour universel et de salut après la mort, a offert un nouveau récit qui a permis aux populations de donner du sens à un monde en pleine mutation.

La Révolution française a mis fin à un ordre social dominé par la noblesse et le clergé. Les idéaux de liberté, d'égalité et de fraternité ont fourni un nouveau récit qui a légitimé le nouvel ordre politique et social.

L'effondrement de l'Union soviétique et la fin de la guerre froide ont marqué la fin d'une époque dominée par la confrontation idéologique entre le capitalisme et le communisme. La mondialisation et l'essor du néolibéralisme ont donné naissance à de nouveaux récits sur la globalisation et le libre-échange.

Plus globalement, l’effondrement du récit religieux et celui des récits nationalistes (de moins en moins cohérents avec une société mondialisée) laissent aujourd’hui la place à de nouveaux récits, dont on a encore du mal à percevoir la nature. Frugalité ? Solidarité ? Interconnexion ? Résponsabilité ? Nul ne sait aujourd’hui de quoi sera fait le futur récit à même de fédérer les énergies et de constituer une base forte pour le monde qui vient. Mais chacun a sa part de responsabilité dans sa construction, ce qui est à la fois un peu effrayant et exaltant.

La seule chose que nous savons, c’est que ce récit ne se construira pas en restant crispé vers le passé (qu’on a trop tendance à idéaliser) ni en se laissant dominer par la peur.

Christophe

POURQUOI 1 TRUC PAR JOUR ?

Cette newsletter (presque) quotidienne est une manière pour moi de tester et pratiquer les fabuleux outils aujourd’hui à notre disposition, mais aussi de mettre à l’épreuve ma propre capacité à réfléchir et à partager cette réflexion. Je compte sur vous pour la faire découvrir à vos amis !

1 truc par jour

1 truc par jour

Par Christophe Duhamel

Les derniers articles publiés